Depuis quelques années, la santé mentale fait l’objet d’une attention croissante dans le débat public. Témoignages sur les réseaux sociaux, campagnes de sensibilisation, prises de parole d’artistes ou de sportifs : le sujet n’est plus complètement tabou. Pourtant, malgré ces avancées, beaucoup de personnes — jeunes et adultes — continuent à garder le silence sur leur mal-être. Pourquoi est-ce encore si difficile de parler de santé mentale ? Quels sont les freins, visibles et invisibles, à cette parole pourtant essentielle ?
Le poids de la stigmatisation sociale
L’un des freins majeurs à la libération de la parole autour de la santé mentale reste la stigmatisation. Les troubles psychiques, bien que fréquents, continuent d’être associés à des jugements négatifs. Être anxieux, dépressif, en burn-out ou atteint d’un trouble plus sévère est souvent perçu comme un signe de faiblesse, d’instabilité, voire de dangerosité.
Cette stigmatisation ne vient pas uniquement de l’extérieur. Elle est aussi intériorisée par les personnes concernées. Beaucoup ont honte de ce qu’elles ressentent, se sentent « anormales », ou coupables de ne pas réussir à aller mieux. Résultat : elles préfèrent se taire plutôt que de s’exposer au regard des autres.
Une culture du silence encore ancrée
Dans de nombreuses familles ou milieux professionnels, la santé mentale reste un sujet qu’on évite. On apprend à « tenir bon », à « ne pas se plaindre », à « garder ça pour soi ». Cette culture du silence est souvent transmise dès l’enfance : on parle de ce qui se voit (une blessure, une grippe), mais rarement de ce qui se vit à l’intérieur (angoisses, tristesse, épuisement moral).
Ainsi, exprimer son mal-être devient un acte contre-culturel. Il faut oser rompre une habitude collective de non-dits et affronter des réactions parfois maladroites, voire blessantes.
La peur d’être jugé ou incompris
Beaucoup hésitent à parler de leur santé mentale par crainte d’être mal compris, pas pris au sérieux ou jugés. Les réactions de l’entourage peuvent parfois renforcer ce sentiment :
- « C’est juste une phase. »
- « Il faut penser positif. »
- « Tu te fais des idées. »
Face à ces réponses, souvent bien intentionnées mais inadaptées, la personne qui souffre se replie. Elle en vient à penser que ses émotions sont illégitimes, voire qu’elle exagère. Ce décalage entre ce que l’on ressent profondément et la façon dont c’est reçu par les autres pousse souvent au silence.
Le manque de vocabulaire émotionnel
Parler de santé mentale suppose de pouvoir mettre des mots sur ce qu’on vit. Or, beaucoup de personnes — et en particulier les jeunes — manquent d’outils pour exprimer leurs émotions de manière claire. On peut ressentir un malaise diffus, une fatigue mentale intense, une détresse inexpliquée, sans savoir comment l’expliquer.
Ce manque de vocabulaire émotionnel est un frein puissant : quand on ne sait pas comment dire, on finit souvent par ne rien dire du tout.
Une société centrée sur la performance
Notre société valorise la réussite, l’énergie, le contrôle de soi. Dans ce contexte, reconnaître qu’on va mal revient souvent à avouer une « faiblesse » — une notion encore mal perçue dans le monde scolaire, professionnel ou même familial.
Ce culte de la performance crée une pression constante pour « aller bien », coûte que coûte. Ceux qui vacillent sont tentés de dissimuler leur souffrance pour ne pas être mis à l’écart, jugés incompétents ou peu fiables. Le silence devient un moyen de protection sociale.
L’absence d’espaces d’écoute sécurisants
Parler, c’est aussi avoir un lieu ou une personne avec qui le faire. Or, tout le monde n’a pas accès à un espace d’écoute bienveillant. Dans certaines familles, parler de santé mentale est tabou. À l’école ou au travail, il n’y a pas toujours de personnes formées pour accueillir ce type de parole. Et dans le système de soins, les délais d’attente ou le manque de moyens peuvent décourager les démarches.
Sans espace sécurisé, la parole ne peut pas émerger. Elle reste bloquée, par peur d’être mal accueillie ou mal comprise.
Les représentations médiatiques et culturelles
Les médias, les séries, les films jouent un rôle important dans la manière dont la société perçoit la santé mentale. Or, ces représentations sont souvent extrêmes : on y voit des personnes « folles », violentes ou totalement déconnectées du réel, ce qui ne correspond pas à la réalité de la majorité des troubles psychiques.
Ce décalage alimente les peurs, les stéréotypes, et dissuade les personnes concernées de s’identifier à ces représentations. Parler de sa santé mentale revient alors à se rapprocher d’une image stigmatisée, que l’on préfère éviter.
Libérer la parole : un enjeu de santé publique
Encourager chacun à parler de sa santé mentale, ce n’est pas un simple effet de mode. C’est une nécessité. Car le silence prolonge la souffrance. Il retarde la prise en charge, aggrave les troubles, et peut mener à des situations critiques, notamment chez les jeunes.
Libérer la parole permet :
- De se sentir moins seul face à ce que l’on vit
- De trouver du soutien, des solutions, un accompagnement
- De faire reculer les idées reçues et les préjugés
- De créer une culture de prévention plutôt que de réaction
Vers une société plus ouverte et bienveillante
Pour que la parole sur la santé mentale circule librement, plusieurs conditions doivent être réunies :
Former à l’écoute : dans les écoles, les entreprises, les familles
Valoriser les témoignages : donner la parole à celles et ceux qui vivent ou ont vécu des troubles
Dédramatiser la souffrance mentale : rappeler que cela peut concerner tout le monde
Créer des espaces accessibles et confidentiels : centres d’écoute, consultations, plateformes anonymes
Changer les mots et les représentations : utiliser un langage respectueux, nuancé, humain
Parler, c’est déjà guérir un peu
Parler de santé mentale ne résout pas tout. Mais c’est souvent la première étape pour aller mieux. C’est un acte de courage, de confiance, parfois de survie. Plus la parole sera entendue, accueillie, respectée, plus il sera facile pour chacun d’oser dire : « Je ne vais pas bien. »
Et dans une société qui écoute sans juger, ce simple aveu peut être le début d’un chemin vers la reconstruction, la compréhension, et le soin.
Parler